Presentation des deux textes intégraux issus des Portraits - Telechargement complet

Les portraits
        Conçus comme une suite présentant des personnages divers plus ou moins imaginaires, “Les Portraits” sont en réalité une succession de réflexions poétiques ou philosophiques destinées à nous placer face à nous-mêmes. S’inspirant de l’art de la nouvelle, ils accordent une importance prépondérante à la chute dans laquelle la volonté provocatrice peut s’exprimer avec idéalisme, dureté, voire cynisme.
     Les deux extraits présentés ici, l’un en alexandrins, l’autre dans un style populaire cher à Michel Audiard malgré l’omniprésence du rythme ternaire (constante chez jean-Pierre Chalet), sont destinés soit à la lecture, soit au théâtre. Ils représentent deux façons différentes de parler de soi.
Peter Pan - Hyde Park – Londres


L’adolescent


Bon sang qu’on est entier quand on a dix-huit ans. L’âge de l’égoïsme et de l’égocentrisme. On s’occupe de soi, on soigne son image, on cherche à conquérir, à se faire admirer à grands renforts d’œillades et de sourires charmeurs, on s’entoure d’une cour pour trouver un public apte à nous renvoyer notre moi magnifié. On affirme, on critique, on juge et on condamne, persuadé de savoir et d’avoir des idées, on butine, on picore, on joue, on papillonne, sans que quoi que ce soit ne prenne d’importance, sans jamais s’arrêter pour un peu réfléchir à ce qu’est l’essentiel, ce qu’est le superflu, tant il faut satisfaire à toutes les requêtes, tant on est débordé, tant on est demandé, tant on est attaché au plaisir immédiat. 
C’est l’âge des copains, des potes, des copines, qu’on voit juste le temps d’exciter davantage, avant de gambader de plaines en collines pour faire de l’escalade, du skate, du VTT, de rejoindre la mer pour partir en bateau, d’exhiber son bronzage, de s’ébattre dans l’eau, de repasser chez soi pour jouer les enfants sages, de se donner un genre pour parfaire son plumage avant de repartir pour aller s’éclater ou pour fanfaronner au milieu du troupeau. 
Et c’est l’âge des « trop », des « super », des « ça l’ fait », des « lol », des « mdr », de tous les « smileys », des « pas s’ prendre la tête » et des « ça déchire grave », des « rebeu » des « renoi », des « cool » et des  « sympa », des « keums » et des « meufs », des « keufs » et des « teufs », des « tarpés », des « chirdés », des « bouffons », des « bâtards », l’âge de l’insouciance, de la frivolité, du souci de la mode, du besoin de briller, de « faire comme les autres » pour ne rien assumer, l’âge qui nous fait croire à notre identité tant on est aveuglé par le jeu du « paraître », et tant on s’ imagine que ça suffit pour être. 
Ainsi chaque moment n’est que futilité qu’on oublie aussitôt dès la porte fermée, pour s’envoler léger, sans la moindre pensée, sans la moindre émotion pour ceux qu’on a quittés, pour en rejoindre d’autres, aussi peu importants, qui seront à leur tour bien vite remplacés. Car « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », on a bien trop à faire pour s ’occuper des gens, pour s’attacher à eux et leur donner du temps alors que notre vie, effrénée, « surbookée », s’envole et nous échappe dans tout ce temps gâché. 
        « Je prendrai rendez-vous » me dit un jour mon père qui aurait tant aimé qu’on se retrouve à deux, à qui je répondis par un emploi du temps face auquel il comprit qu’il n’avait plus sa place. Et c’est moi bien plus tard, quand il eut disparu, qui me mis à pleurer de rage et de dépit en découvrant l’ « ado » entier et imbécile que j’avais incarné quand j’avais dix-huit ans.
Les Parisiennes - Knossos

Coralie

	
« Arrête de réfléchir » qu’ è’ m’ lança Coralie en m’ s’rinant  sa rengaine pour la douzième fois, alors qu’on restait là, campés sur l’ canapé, à s’ demander quoi  s’ dire, après qu’on ait becqu’té.
	« Moi j’suis là, à côté d’ toi, ça m’ suffit. J’ sais vraiment pas c’ qui t’ manque, j’ comprends pas c’ que tu r’cherches ! Toujours à t’ prendre la tête ! Ça doit êt’ fatigant ! C’est vrai ça, ça m’ dépasse. Au lieu d’ profiter des moments où on est tous les deux, peinards, à passer une soirée… Déjà qu’y en a pas tant qu’ ça… Et toi t’es là à cogiter tout seul… Enfin, tu penses à quoi ? C’est dingue… »

	Réfléchir ! J’ peux pas m’en empêcher. Moi j’ suis pas un scorpion*, j’ suis un él’vage à moi tout seul. C’est fou tout ce que j’ peux pas m’empêcher de faire. Dès qu’y a un truc qui m’ turlupine, faut qu’ je cherche, j’y coupe pas. Tiens, quand j’ suis tout seul, j’ me parle, comme si on était deux, celui qui s’ plaint, qui raconte ses problèmes, et celui qui écoute, qui essaie d’ raisonner, d’ trouver des solutions, comme en consultation chez le psychanalyste. J’ dis pas que j’ m’ allonge à tous les coups, mais c’est pareil, ça r’vient au même , j’ me parle, j’ me réponds, et ça pendant des heures. Jusqu’à temps d’ êt’ crevé, de n’ plus rien y comprendre. Ou d’ me dire qu’ j’ suis coincé, qu’ c’ est foutu pour ce soir, et qu’ j’ reprendrais d’main, quand j’y verrais plus clair.
Ca peut durer des jours, des mois, voire des années. Parc’ que moi c’est comme ça, quand j’ comprends pas un truc, y m’ faut la solution. J’ peux pas rester paumé au milieu du brouillard à m’ détruire les méninges et à m’ rend’ malheureux. Faut qu’ je trouve, c’est tout.

	Tiens, la pauv’ Coralie. C’est fou c’ que j’ l’ ai aimée ! Je n’ pensais plus qu’à elle, tout l’ temps , toute la journée, en m’ demandant pourquoi c’était si mal foutu, qu’y ait tant d’ kilomètres qui nous empêchent de s’ voir. À chialer ! Parfois j’ prenais l’avion pour aller à jusqu’à Lyon, j’ descendais l’escalier en courant comme un dingue pour la prend’ dans mes bras au cœur d’ l’ aérogare. Enfin c’est c’ que j’ pensais, car la plupart du temps, j’attendais presqu’ une heure, vu les embouteillages. C’est con comme ces détails, ça vous coupe les envies : on s’imagine des trucs, on s’ fait son cinéma, et puis ça s’ passe jamais comme on avait prévu. 
Et pourtant , ça j’ l’ aimais, ça j’ peux l’ dire, et ça f’sait plus d’ dix ans que j’ l’ avais dans la peau. Même qu’ j’ ai failli m’ marier, et qu’ si l’église de Bruges avait été ouverte, j’aurais chopé l’ curé pour qu’ y fasse ça tout d’ suite, pour que j’ gamberge plus qu’ è puisse un jour s’ tirer. Parc’ que des mômes comme ça, y en a pas tous les jours. 
Et puis six mois plus tard, j’étais là, attablé, à n’ plus r’trouver mes pompes et à m’ faire du mouron, à m’ demander vraiment c’ que j’ foutais dans c’ traqu’nard. Parc’ qu’y avait plus d’ rêve, parc’ que j’ sentais plus rien, qu’on était comme des cons qu’avaient plus rien à s’ dire, sinon qu’ à s’ raconter c’ qu’on avait fabriqué pendant toute la journée. 

	Alors moi j’ m’ emmerdais. C’est fou c’ que j’ m’ emmerdais. Même si j’avais beau m’ dire que c’était qu’un passage, qu’ ça d’vait êt’ la fatigue ou qu’ j’ étais qu’ un d’mi-sel, n’empêche que j’ m’ emmerdais, qu’ j’ savais plus quoi faire. Pourtant j’ m’ étais battu, j’ m’ étais donné du mal, et dieu sait si j’y t’nais à la p’tite Coralie ! J’ étais même persuadé qu’ si è’ v’nait avec moi, ça s’rait vraiment l’ bonheur, qu’on y s’rait arrivé. Pensez donc ! Une grande brune, bousculée comme pas deux, avec des cheveux longs qui lui battaient les reins, un puits d’intelligence, un vrai tempérament, et question caractère, volonté et tout l’ reste, y’ avait pas plus à r’dire, è’ f’sait dans l’organdi. Et puis è’ m’ reluquait comme on mate un cador, et moi j’ lui f’sait du gringue, et ça m’ rendait heureux. Une princesse j’ vous dis, un canon, une épée ! Et v’là qu’ c’ était foutu, qu’on y pouvait rien vu qu’on s’était usé à traîner not’ béguin en croyant qu’être à deux, pour nous ça suffirait…

	« Arrête de réfléchir » qu’ è’ m’  r’dit Coralie en m’ s’rinant sa rengaine pour la treizième fois. « Moi j’suis bien quand t’es là, ben tu vois, ça m’ suffit.»
	Et moi j’en pouvais plus d’ lui faire croire qu’ ça dur’rait,  parc’ que j’avais compris qu’on n’y arriv’rait jamais, que jamais j’ l’ emmèn’rais jusqu’au bout de mon rêve : celui d’enfin m’ barrer de ce monde ordinaire pour dev’nir un oiseau et trouver l’infini.
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