Trois nouvelles, Pierre Boulez, Wolfgang Amadeus Mozart, L’acacia - Telechargement complet

Trois nouvelles
La plus cruelle erreur que nous puissions commettre est d’attendre des autres,
car ce qu’on craint le plus est bien ce qu’on espère.
1 - Pierre Boulez
Pierre Boulez, l’un des trois compositeurs primordiaux de la deuxième moitié du XXème siècle, fêta en 2005 ses 80ans en donnant seulement trois concerts pour le monde entier. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’un d’eux fut programmé à Orléans. 
L’admiration sans retenue que je peux avoir pour lui, l’importance fondamentale que cet homme eut dans ma vie tant par son écriture que par ses réflexions aussi lucides que révolutionnaires, me conduisirent avec fébrilité et impatience jusqu’à la salle de spectacle. Le choc fut à la hauteur de mes espérances : phénoménal. Le bouleversement et l’enthousiasme dans lesquels je me fus retrouvé créa en moi une seule obsession : lui parler. Mes relations avec la direction du théâtre permirent d’arranger une rencontre à laquelle j’avais toujours rêvé sans évidemment imaginer qu’elle eut pu être possible un jour: et pourtant, après une courte attente qui me parut interminable, l’homme arriva avec un grand sourire, me serra chaleureusement la main et entama la discussion avec une simplicité déconcertante.
Il n’est rien de plus détestable que de voler du temps et d’ennuyer par de longs discours des personnes d’une telle importance. Je connais suffisamment la grande lassitude qu’on peut ressentir à la fin d’un concert et l’obligation parfois éprouvante d’écouter des commentaires pourtant réconfortants, qu’il était hors de question que j’abuse du privilège qui m’était accordé. Aussi , ayant obtenu son adresse, lui promis-je de lui écrire plutôt que de continuer à le retarder : le rêve s’arrêta là.

Ludwig, un ancien étudiant, aujourd’hui historien, avait assisté au concert. À peine eut-il appris que j’avais rencontré Boulez et que je lui préparais une lettre, qu’il ne cessa de me harceler pour savoir ce que j’en attendais, imaginant toutes les réponses envisageables avec la persuasion d’enfin trouver celle qui correspondrait le mieux à mes attentes. J’eus beau lui affirmer qu’il ne s’agissait pour moi que du besoin viscéral d’exprimer ma profonde gratitude et ma grande reconnaissance, un acte d’amour en quelque sorte, rien n’y fit : passer tant de temps et se donner tant de mal imposaient forcément et une attente de ma part, et un retour de la sienne. 

           Après deux bonnes semaines d’écriture acharnée, de correction, de relectures et de beaucoup de doutes, je pus enfin poster la lettre avec la sensation du devoir accompli : il n’y eut pas de réponse.
2 – Wolfgang Amadeus Mozart
	Le 27 janvier 1756 naquit l’un des personnages les plus importants de l’histoire de l’humanité : Mozart. Pour célébrer le 250ème anniversaire de sa naissance, très à la mode dès la fin 2005, l’agence me proposa d’imaginer un spectacle qui pourrait faire l’objet d’une tournée nationale. Le sujet m’excita beaucoup, d’autant que je le connaissais bien pour l’avoir déjà abordé lors de l’agrégation (« Le mythe de Don Juan »), ensuite approfondi pour rédiger une plaquette importante à la suite d’une commande.
	Il me fallait trouver une formule attrayante, loin de la conférence rébarbative qu’on réserve habituellement aux bancs de la faculté, afin de séduire le plus large public possible, sans toutefois faire la moindre concession sur le contenu. J’eus alors l’idée de tout construire autour de son obsession pour sa liberté et de son esprit révolutionnaire dont on ne parle jamais, en mélangeant texte, musique vivante, enregistrements et photographies. Après cinq mois d’un travail minutieux fut présenté pour la première fois à Reims « Mozart le rebelle ».
	La réussite des deux premières soirées et la satisfaction tant des organisateurs que du public furent rapidement connues, ce qui entraîna une succession de demandes qui elles-mêmes en amenèrent de nouvelles. La tournée nationale, qui continue aujourd’hui, prit ainsi son envol de façon inespérée, avec des audiences d’une moyenne de deux à trois cents personnes. L’accueil remarquable, les chambres prestigieuses dans les hôtels de luxe, les conditions parfaites, l’enthousiasme des spectateurs et la récompense conséquente qu’on m’offrait au final firent de ces soirées des moments exceptionnels qui contribuaient à renforcer mon plaisir et ma passion.
        Inutile de dire combien ces prestations réclament de travail, d’énergie, et combien elles sont épuisantes, surtout quand elles dépassent deux heures et plus… Bien plus motivé par la passion que par l’argent que je pouvais en tirer, j’eus un jour l’idée, par honnêteté sans doute, par envie aussi, et plus simplement parce que je le devais, d’offrir la conférence au collège. La seule date qui pouvait convenir m’obligea à refuser un contrat confortable prévu pour le même jour, le jeudi 21 décembre. Qu’importait finalement cet ajournement s’il permettait à ceux que je côtoie quelques jours par semaine de découvrir Wolfgang dans toute sa dimension, dans toute sa grandeur, dans toute son authenticité. Une liste fut mise en place afin que professeurs, amis et parents d’élèves puissent s’inscrire, le piano fut accordé, tout le matériel nécessaire à l’écoute et la projection fut installé avec bien de difficultés. 
        Plusieurs professeurs m’avertirent de leur impossibilité d’assister à la soirée, ce qui fut courtois. D’autres eurent l’audace de me demander si je n’avais pas prévu de redonner la conférence un autre jour pour les arranger. Une enfin eut l’incroyable culot de réclamer avec insistance un enregistrement pour qu’elle puisse l’écouter tranquillement chez elle.
        Tout ceci ne m’atteignit guère dans la mesure où je n’attendais rien de cette soirée sinon faire plaisir, puisque la seule présence que j’avais profondément souhaitée n’avait été possible.
        Prévue pour 18h30, le séance ne put débuter avant 19h, le temps que tout le monde puisse s’installer: ils étaient onze.
3 -  L’acacia
	Le Cercle Montesquieu, assemblée littéraire constituée d’intellectuels éminents, me proposa, au printemps 2007, de participer à ses travaux. Il me fut demandé de présenter un texte à partir d’un arbre de mon choix. Un tel honneur ne peut se refuser. La littérature a toujours fait l’objet de toutes mes attentions et le plaisir d’écrire, depuis les années de lycée, m’avait conduit pendant deux ans à assumer le rôle de journaliste musical dans un quotidien régional, ce qui me m’avait permis d’acquérir d’indispensables bases techniques. Malgré la difficulté et le peu d’enthousiasme que m’inspirait le sujet, j’acceptai de soutenir la gageure.
	Une longue préparation fut évidemment nécessaire. Combien de pages eus-je du écrire, raturer, corriger, reprendre dans leur totalité pour les jeter ensuite, dans l’espoir d’obtenir un ensemble
à peu près honorable dont je n’aurais pas honte.  Le lundi 30 avril, je lus mon texte dont voici un extrait :
          « Il devait être 18 heures. Je m’étais arrêté sur le bord de la route pour me détendre un peu avant de terminer ce satané voyage qui n’en finissait pas. J’adore ces temps de juin qui annoncent l’été avec une chaleur encore contenue propre à exacerber les parfums printaniers, tandis que le soleil, pas encore au zénith bien qu’annonçant déjà les feux de la St Jean, dessine chaque ligne de façon si précise et si tendre à la fois que le moindre bosquet semble tout droit tiré d’un décor de Watteau. Descendant de voiture, un peu abasourdi, j’entrepris de marcher le long de la lisière d’un petit bois perdu au milieu de ces champs qui touchaient l’horizon. 
	À peine fus-je sorti qu’une odeur délicieuse vint frapper mes narines au point de m’envahir d’un plaisir inouï autant qu’inattendu. Je sentais la vanille, le miel, le jasmin, le sucre, la groseille, tous étant confondus dans un parfum suave tellement délicat, léger, fin et subtil que je crus dans l’instant respirer l’Absolu. Comment cette senteur jusqu’ici ignorée avait pu parvenir comme ça jusqu’à moi, ainsi créer le trouble, le bien-être, l’émotion? 	Écarquillant les yeux, je cherchais vainement la source de l’effluve qui m’avait bouleversé quand soudain j’aperçus de longues grappes blanches suspendues aux branchages de sept robiniers. « Des acacias », me dis-je, « ce sont des acacias » ! Et juste à cet instant, une brise légère vint caresser leur tête pour la faire s’incliner dans un salut coquin. »
               L’accueil fut chaleureux et permit un échange tout à fait passionnant sur la littérature en générale, la description en particulier. À la fin du débat avait été prévu un buffet raffiné arrosé de grands crus. C’est alors qu’un des membres approcha jusqu’à moi.
               -	    “ C’est joli ton texte, j’aime bien la poésie. En fait, t’as voulu nous dire que tu t’étais arrêté pour aller pisser
               -	     Euh, non, pas du tout, balbutiai-je avec difficulté.
               -      Ah ok, c’était pour aller chier .”
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